Pour une économie collaborative «Responsable et vertueuse»

Dans la foulée du rapport Terrasse qui pointe la nécessaire adaptation du cadre juridique et fiscal pour assurer un minimum d’équité concurrentielle et sociale, il apparaît pertinent de se questionner sur les critères d’un modèle d’économie collaborative responsable et vertueux.

Commençons par ce qui définit cette nouvelle économie : la collaboration, qui repose sur la communauté et le lien social.

Si les sites collaboratifs fonctionnent tous grâce à la création d’une communauté, on peut distinguer ceux qui placent au cœur de leur mission le renforcement du lien social. Un site comme Blablacar a depuis son origine mis ce sujet au cœur de son modèle : le niveau d’interaction sociale (bla, blabla ou blablabla) que l’utilisateur peut choisir pour son trajet en est un excellent exemple, quand Airbnb s’oriente à l’inverse, vers une « servicialisation » de son modèle. Ce premier critère montre donc bien l’importance de la primauté de la relation sur la transaction, entretenue et développée par le lien social.

Le deuxième critère à prendre en compte concerne la réponse aux enjeux sociétaux.

Prenons l’exemple de Heetch. Cette application qui connecte des chauffeurs non professionnels, exclusivement entre 20h et 6h du matin, répond à au moins trois enjeux sociétaux : le désenclavement des banlieues, la flexibilité et la sécurité des déplacements de nuit, et la (non) conduite des jeunes en état d’ivresse. Avec un modèle économique permettant d’être au même tarif qu’un ticket de transport en commun, Heetch répond à un vrai besoin sociétal de mobilité, totalement complémentaire aux taxis et aux transports en commun nocturnes. A l’inverse UberPop, qui fut un concurrent de Heetch avant d’être interdit, a certes été pensée comme une alternative plus économique et plus souple aux taxis, mais sans apporter de vraie plus-value sociétale. Dans ce dernier cas, la valeur d’échange constitue la première clé de conception du modèle, alors que pour Heetch, c’est d’abord la valeur d’usage du service apporté qui prime sur cette valeur d’échange.

Troisième critère pertinent : la gouvernance et l’influence des contributeurs qui vendent, louent, troquent ou échangent leurs biens ou leurs services…

Sur ce point, peu de sites permettent à leurs contributeurs de fixer par exemple le prix de leur bien ou de leur service. Uber a ainsi décidé une baisse tarifaire de 20 % il y a quelques semaines, de façon totalement unilatérale. Dans des systèmes plus hybrides, l’exemple de Blablacar, qui encadre les prix des trajets pour éviter les abus de certains propriétaires, est particulièrement intéressant. Enfin, La Ruche qui dit Oui va encore plus loin en laissant les producteurs fixer librement leur prix, la proximité avec le client final et la force du lien social garantissant une « auto régulation ».

Quatrième critère : la répartition de la valeur au sein du modèle économique.

C’est en particulier sur ce critère que Michel Bauwens distingue dans son dernier ouvrage « l’économie du partage » de « l’économie à la demande » (Sauver le monde : Vers une société post-capitaliste avec le peer-to-peer, Editions Les liens qui libèrent). La première, à l’instar de la Ruche qui dit Oui, regroupe des entreprises ayant conçu leur modèle pour qu’il garantisse un juste partage de la valeur économique des différents contributeurs au sein de leur écosystème. A l’inverse, des plateformes comme Booking.com sont dans une vision que l’on pourrait qualifier d’ultra-libérale dans la mesure où elles cherchent à tout prix un statut monopolistique et captent la majeure partie de la valeur créée. Cet ultra-libéralisme est d’ailleurs accentué par les deux derniers critères de notre analyse. D’une part l’ouverture des données et leur éventuelle rémunération, car il est clair que les milliards de « datas » récoltées par ces sites ont et auront une valeur financière et extra financière de plus en plus essentielle. Là encore, la plupart des sites les plus connus ne partagent pas et ne rémunèrent pas la fourniture de données. C’est d’ailleurs l’un des arguments qu’a choisi Accor pour lancer sa plateforme de réservation, accorhôtels.com, et se différencier ainsi de Booking.com en permettant aux hôteliers et restaurateurs de récupérer les données des clients. D’autre part, la prise de risque, pourtant l’un des fondements de l’entreprenariat des modèles libéraux actuels, n’est pas ou peu assumée. Aidées en cela par ce que Jérémy Rifkin a appelé le coût marginal zéro, des plateformes comme Airbnb, Uber ou Booking ne supportent quasiment aucun risque de développement de leur business, n’ayant ni salarié directement lié à leur activité (si ce n’est ceux qui servent au développement de la plateforme) et n’étant pas propriétaire des biens ou services qu’ils commercialisent. A l’inverse, des sites comme peers.org montrent la voie en structurant un système de couverture santé pour les travailleurs indépendants.

Cette analyse montre ainsi la diversité des modèles collaboratifs et leur volonté d’intégrer, à des degrés divers, des critères de responsabilité économique mais aussi sociétale. Elle pourrait de ce fait permettre aux clients ou aux contributeurs de ces plateformes de mieux choisir celles qu’ils voudront privilégier à l’aune de ces critères. Mais aussi aux entrepreneurs de start-ups ou aux entreprises déjà établies de comprendre les critères de différenciation sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour créer de nouvelles opportunités de développement, durables et vertueuses. Car la collaboration est inséparable des notions de réciprocité, de partage et d’équité. Ces nouveaux modèles collaboratifs sont de vraies sources d’opportunités, pourvu qu’en se développant, les nouvelles entreprises incarnant ces modèles n’en oublient pas les fondamentaux. – Thomas Busuttil, Directeur Général conseil RSE et Innovation

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