Équité de la distribution de valeur: nouvelle frontière d’acceptabilité de l’activité

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Des inégalités croissantes qui questionnent les décideurs

8 individus possèdent aujourd’hui à eux seuls autant de richesses que les 3,6 milliards de personnes les plus pauvres du monde. Et cette tendance ne cesse de croître, notamment dans les pays de l’OCDE qui voient la part de la rémunération du travail dans le revenu national diminuer année après année. D’un point de vue plus micro-économique, et au-delà des problématiques anciennes de répartition de la valeur dans la supply chain (cf. négociations annuelles de la grande distribution), on assiste à des bouleversements importants avec l’arrivée des nouveaux modèles économiques et de l’économie des plateformes, engendrant progressivement l’effacement des frontières entre producteurs et consommateurs. Cela traduit sans doute une évolution de la conception même de la valeur, la seule valeur économique transactionnelle s’enrichissant d’autres éléments constitutifs comme la création de lien social ou la flexibilité dans l’organisation du temps de travail.

Cela nous amène à réfléchir à ce que peut être une distribution de valeur « équitable » dans l’économie d’aujourd’hui.

Premier constat, ce principe d’équité peut se traduire par des approches différentes en fonction des acteurs impliqués (secteur d’activité, forme juridique, histoire, culture…).

Il présuppose également qu’il y ait des « avantages pour chacun » différenciés, autrement dit qui dépassent un simple principe d’égalité pour intégrer la complexité du monde d’aujourd’hui (globalisation, économie des plateformes…).

Enfin, l’appréhension de l’équité de la distribution de valeur doit se faire à plusieurs niveaux : au niveau du périmètre global de l’entreprise et au niveau du business model de chaque produit et service (les deux pouvant se rejoindre). C’est sans doute la capacité de l’entreprise à assurer la cohérence globale de cette distribution de la valeur à tous ces niveaux qui reste un des challenges majeurs à relever.

Des modèles d’entreprises variables mais des principes de distribution communs

Dans la pratique, il est très difficile de faire émerger des principes directeurs applicables à l’ensemble des acteurs économiques car les pratiques diffèrent très largement et sont la plupart du temps le fruit d’une culture d’entreprise croisée à des contraintes de marché variables.

Ainsi, l’analyse des cash value distributions présentées dans les derniers rapports financiers et extra-financiers révèlent qu’entre une coopérative agricole, une entreprise familiale et un groupe côté, la part de redistribution aux salariés, aux actionnaires ou aux fournisseurs varie sensiblement.

Une observation attentive du fonctionnement des entreprises à succès et des tendances sociétales (horizontalisation de la société, quête de sens des consommateurs, etc), permet néanmoins de mettre en lumière des principes clés à intégrer pour favoriser cette équité :

•    Intégrer dans la valeur une dimension extra-financière : la diversité des attentes des acteurs d’un écosystème favorise l’émergence de contreparties extra-financières au-delà de la seule transaction ;

•    Passer d’une posture « donneur d’ordre / sous-traitant » à une approche de « partenaire » : la diminution des barrières à l’entrée permet l’apparition de nouveaux acteurs plus agiles qui remettent en cause la vision parfois très « top down » des acteurs historiques ;

•    Corréler la redistribution de valeur à la pérennité de la relation : face à la complexité et aux accélérations de la société, la pérennité du lien entre les acteurs semble être un actif central pour favoriser la confiance et in fine le développement de l’activité ;

•    Garantir la transparence sur la valeur réellement redistribuée (sous toutes ses formes) : avec le développement de l’instantanéité et la disparition progressive du secret, le manque de transparence est aujourd’hui un des points de controverse les plus fréquents.

La redistribution de valeur dans la société collaborative qui se profile

Depuis 10 ans, le concept d’économie collaborative connaît un véritable essor et son marché devrait représenter 335 milliards de dollars à l’horizon 2025. Et ce dans tous les domaines économiques.

Lorsqu’on observe plus précisément les différents acteurs, on se rend compte qu’il ne s’agit pas en fait d’une économie collaborative mais d’une multitude de modèles collaboratifs, aux dimensions et motivations variées mais qui reposent sur une vision communautaire et écosystémique et qui capitalisent sur des outils d’intermédiation (de type plateforme) facilitant l’échange et le partage de biens et services entre pairs.

Il apparaît aujourd’hui simpliste de réduire la problématique de l’équité de la distribution de valeur au seul montant de la commission prélevée par les plateformes (cf. controverse autour de la commission d’Uber). En effet, comme nous l’avons vu, pour les plateformes collaboratives comme pour les autres modes relationnels, la valeur n’est plus à considérer comme essentiellement financière mais aussi extra-financière (cf. les chauffeurs d’Uber apprécient également la flexibilité apportée dans le choix de leurs horaires de travail).

Aujourd’hui, la nouveauté, la complexité et la rapidité de développement de l’économie collaborative représente un vrai challenge pour les législateurs qui tendent d’encadrer ce mouvement, sans grand succès jusqu’à présent. Il nous semble que les réponses à apporter à la problématique de l’équité de la distribution de valeur sont plutôt du côté de la logique de contrat qui est en train de s’imposer sur le marché. A ce titre, et même si les modèles d’open source ne sont pas nouveaux (cf. Linux), on assiste aujourd’hui à l’utilisation croissante de modes d’ouvertures différents (cf. licences Creative Commons ou « licence à réciprocité renforcée » développé par Michel Bauwens et la Peer to Peer Foundation).

Plus que de définir des principes, cela amène plutôt à identifier des points clés pour faire émerger des approches réellement équitables :

•    La justification du montant de la commission prélevée : quels sont les arguments qui expliquent le montant de la commission et sont-ils légitimes pour les différents acteurs ?

•    Le pouvoir de négociation ou de dépendance et de subordination des contributeurs : la plateforme impose-t-elle des décisions de manière unilatérale et si oui, comment justifier cette approche ?

•    L’évaluation de la contribution individuelle lorsque les contributeurs sont nombreux : les contributeurs sont-ils jugés sur un pied d’égalité alors que leur contribution peut varier significativement ?

•    Le niveau d’ouverture du processus de co-création et des solutions co-créées : quel est le niveau d’implication des contributeurs dans la création et l’utilisation des solutions proposées ?

•    Le niveau de participation des contributeurs dans la gouvernance : dans quelles mesures les contributeurs (et autres parties prenantes) sont impliqués dans la gouvernance de la plateforme ?

•    La cohérence dans le modèle économique : y-a-t-il cohérence entre le mode d’implication des contributeurs et celui de l’accès à la solution (cf. contribution volontaire sur Wikipédia et accès gratuit) ?

Le sujet de l’équité de la distribution de valeur apparaît donc aujourd’hui comme central car il peut remettre en cause la licence to operate de tous les acteurs, quel que soit le secteur d’activité. Cette problématique est d’autant plus complexe à gérer et intégrer pour les organisations qu’elle doit être traitée au niveau de la stratégie de l’entreprise comme au niveau de ses processus d’innovation. – Thomas Busuttil, Directeur Général conseil RSE et Innovation

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